30 mai 2020

Grand-Langue au Far West

En 1992, je suis allé à Los Angeles pour assister à un séminaire technologique en lien avec mon boulot. Los Angeles, c’est une multitude d’agglomérations, ce n’est pas une ville, c’est une région.

La première journée se déroula normalement, mais en soirée, tout a basculé. Je logeais dans un hôtel luxueux jouxtant Watts, un lieu où de grandes émeutes raciales eurent lieu en 1965, émeutes engendrées par la violence policière.

Un jury venait d’acquitter des policiers ayant battu sans retenue (sic), un dénommé Rodney King. Quelqu’un avait filmé la scène. Le jury se disait incapable de distinguer chaque policier sur la pellicule. En conséquence, on acquitta les suspects.

Du coup, les noirs mirent le feu, pillèrent et vandalisèrent les commerces. Dans ce quartier, les commerçants étaient d’origine coréenne. Puisque la police ne pouvait les protéger, ils prirent leurs armes pour défendre leurs commerces. Installés sur les toits ils tiraient à vue.

J’étais au Far West! Un couvre-feu fut décrété, on nous confina à l’hôtel. La garde nationale protégeait l’établissement. Mon collègue et moi jouissions d’une confortable suite constituée de deux chambres, deux salles de bains, d’une cuisine moderne et bien équipée, d’un salon avec écran géant, d’un foyer avec bois de chauffage (à Los Angeles!). L’hôtel fournissait la boisson, les amuse-gueules, les repas, les divertissements, etc. Cela dura une semaine. Du bord de la piscine, nous entendions les coups de feu et pouvions voir la fumée des édifices qui brulaient tout autour.

C’était surréel. Confiné dans un lieu qui contrastait avec tout, les gens jasaient, non pas de la révolte, mais du dernier match de football et écoutaient l’orchestre embauché pour nous divertir. À 100 mètres de là, des gens se tiraient dessus, les plus pauvres de notre société pillaient pour survivre tout en se faisant tirer dessus sans que la police ou les militaires n’interviennent. Dès qu’un bulletin d’information montrait ce qui se passait de l’autre côté de la rue, les gens changeaient de station pour du sport ou du showbizness.

J’ai compris que vivre au milieu de ces contrastes était le lot des Américains. Si ces gens souhaitaient une meilleure vie, ils n’avaient qu’à travailler ». C’est ce qu’on se dit chez l’Oncle Sam et l’actuel président incarne cette pensée (même s’il n’a jamais travaillé lui-même).

Chaque décade comporte ses manifestations, car le racisme est enraciné. On dit que les choses doivent changer, ça ne changera pas. Aujourd’hui, dans de nombreuses villes, le COVID-19 et les manifestations raciales sanglantes fusionnent. Il y a des mélanges qu’il faut éviter. Devinez qui en paiera le prix?

Quelle leçon en tirer? Je ne me veux pas moralisateur. N’empêche, je ne m’habitue pas à cela. Les inégalités extrêmes entrainent la violence et la violence entraine encore plus de violence. Il n’y a pas de « bons » ou de « méchants », mais il y a des gens qui ont tout et d’autres qui n’ont rien, la bouchée ne passe pas.

19 commentaires:

  1. c'est terrible... c'est donc encore pire que ce que j'imaginais...

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  2. C'est tout le problème. Tant que les inégalités sociales seront grandes, les risques d'émeutes et de conflits seront toujours présents…..Et l'écart continue de se creuser. Ceux qui ont le pouvoir et l'argent ne veulent rien partager. Tout pour eux. Juste un petit espoir: les pauvres sont plus nombreux !!

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  3. Ce sont les contrastes qui sont terribles. Aux États-Unis, les pauvres sont vraiment démunis. Dans la plupart des lieux, ça ne se voit pas, on pense même que c'est l'Eldorado! La sacro-sainte liberté individuelle empêche l'émergence d'un filet social. La moindre intervention gouvernementale est vue comme une attaque aux libertés individuelles.

    Notez que l'hospitalité des américains à mon égard (je suis blanc) a toujours été remarquable. La générosité aussi. Le racisme aux USA est subtil.

    Je suis toujours surpris de voir les noirs brandir un drapeau américain lorsqu'ils gagnent une médaille olympique par exemple. Nous savons que lorsqu'ils redeviendront de simples citoyens, ils ne seront pas « aussi égaux » que les autres.

    Petite consolation: dans les manifestations actuelles, il y a de nombreux blancs. Peut-être devraient-ils se rassembler par millions à Washington et foutre à la porte leur crétin de président, comme la France l'a fait lors de la révolution.

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    1. hélas on ne semble pas non plus manquer de 'crétins' qui continuent de voter pour lui

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    2. En effet! Pas facile de comprendre pourquoi les gens votent pour lui. Quand ils ont élu Trump, ils votaient contre des politiciens qui ne livrent jamais ce qu'ils prônent, ils votaient contre « des bandits à cravate ». La porte était ouverte un spécimen du genre Trump.

      L'histoire pourrait se répéter, les démocrates peinent à trouver un chef d'envergure.

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  4. Comme vous l'écrivez, le racisme est ancré et au 21ème siècle, on a l'impression de rêver en voyant ce qui se passe dans les rues des grandes villes américaines. Et pourtant, non, c'est bien réel et rien ne change. Cela en devient presque désespérant... mais ce n'est pas avec ce président que les choses vont évoluer, lui qui prône le port des armes pour se défendre. La société américaine est faite de contrastes terribles. Mais dans nos contrées européennes, est-ce que c'est vraiment mieux?... Belle semaine malgré tout.

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    1. Bonjour Dédé,

      Au 21ème siècle, où en sommes-nous? Côté racisme, nous ne sommes certainement pas très avancé. Faudra voir où nous en serons dans quelques siècles.

      La peur de la différence est propre à l'homme. Cette peur est à la source de bien des conflicts. Trump, et tellement d'autres dirigeants s'en servent à leur profit (c'est la faute aux Mexicains, aux Chinois, aux Russes, aux Canadiens, aux Européens… etc.) Ça rassure de savoir que rien ne vient de nous. De plus, ça motive les troupes.

      Je doute que les Américains soient fondamentalement différents de nous. Sauf que dans ce pays, on met en évidence les diverses tendances humaines, sans filtres.

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  5. Il y a aussi les jaloux, les violents, les envieux mais également des bienveillants, des tolérants, des pacifistes. Les cultures sont différentes et ne sont pas en osmose. Le principe des vases communicants ne fonctionne pas. Pourtant .......il y aurait tant à s'enrichir au sein d'une société multiraciale. Temps que les gens auront faim, il y aura des violences. Temps que les gens seront "sur assistés" pour tout, ces mêmes violences ne cesseront pas. Je ne me permettrai pas de porter un quelconque jugement sur la politique de Trump puisque je n'ai pas voté pour lui mais en France aussi nous avons eu et aurons certainement quelques échantillons de politiques qu'il nous est si facile de critiquer.

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  6. Que des êtres humains puissent se conduire ainsi ne peut que nous couvrir de honte
    et il nous faut réagir...Rester indifférents, c'est collaborer avec ceux qui tuent.

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    1. Je crois que le racisme et plus souvent la xénophobie vécue de manière systémique, peuvent être combattus en nous regardant objectivement et en tentant d'éviter les pièges. Ainsi, déjà, un p'tit bout de chemin aura été parcouru. N'empêche, quand l'occasion se présente, on peut partager cette vision avec des gens qui « oublient » que les humains constituent une seule et même race.

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  7. C'est vrai qu'aux USA j'ai senti, très fort, un décalage et une sorte de bi-polarité. En surface, on vous accueille avec sympathie, on vous hèle dans la rue, on vous demande si vous vous adaptez bien. Mais jamais vous n'entrez chez eux si vous n'avez pas montré "patte blanche", c à d que vous êtes dans leur Kiwani, Rotary ou église. Et la loyauté est si fragile : je me souviens d'une de mes clientes (plutôt sympa) qui, quand la France a refusé d'entrer dans la guerre contre l'Irak, m'a dit comme une évidence qu'elle allait DEVOIR cesser d'écrire à sa correspondante française (qu'elle avait depuis 20 ans...) car c'était impardonnable!

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    1. Edmée,

      Je m'en souviens, les gens vidaient leurs bouteilles de vin français dans la rivière. Le Canada avait aussi refusé de les suivre dans cette fausse guerre. Il n'y avait pas eu de conséquence pour nous. Notre Premier Ministre d'alors, fin renard, avait négocié autre chose en catimini.

      Il est dangereux d'être trop ami avec les Américains. Eux ils peuvent décider librement mais vous, vous devez les suivre. C'est peut-être le lot des grandes puissances.

      Les Américains se permettent de critiquer leur président mais ils n'acceptent pas que d'autres nations critiquent ce même président.

      Vous pouvez passer d'ami à ennemi, bien rapidement. Les Américains se rangent derrière leur président, aussi idiot puisse-t-il être. Après la seconde guerre De Gaulle avait dit aux gringos « merci et au revoir ». Il savait à qui il avait affaire.

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    2. Tu as tristement, mais si tristement raison!!!

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  8. Tu as entièrement raison et tu as bien conclu. On ne peut pas changer la mentalité de certaines personnes, c'est bien regrettable, mais réel. C'est un vaste sujet que la violence car chacun de nous l'a en lui. Bonne semaine.

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    1. Bonjour Élizabeth,

      Vivre ensemble implique d'accepter les différences, d'imposer des limites mais sans croire de façon utopique que tout le monde a été conçu sur un même moule.

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  9. Bonsoir GL,
    Merci pour ce témoignage édifiant. La différence sociale entre les gens de l'hôtel et ceux qui sont dans la rue me rappelle combien la colère et les inégalités que vivent les uns font l'indifférence des autres... Un constat malheureusement toujours d'actualité.

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    1. Le racisme n'est pas l'appanage d'une seule société, d'une seule nation. Craindre ce qui est différent et se positionner dans une société en tenant compte de la couleur de la peau, de l'origine des uns ou de la religion et des mœurs des autres semble être un réflexe défensif alimenté né par la peur, la peur de ce qui est différent.

      Pour vaincre nos peurs il faut d'abord avoir confiance en soi. Cette confiance est rarement mutuelle. Alors des clans se forment, des murs se dressent, des fossés se creusent...

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  10. un témoignage saisissant. (Ecoutez pourtant ceci, peuple insensé et sans intelligence, qui avez des yeux et ne voyez pas, qui avez des oreilles et n'entendez pas.) Mais ne pas vouloir voir n'est pas spécifique à ce pays là, le voyageur rapporte qu'en tel et tel endroit du globe, on sort le matin sans faire attention aux victimes de la violence qui gisent sur les trottoirs

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    1. Bonjour Emma,

      Vous avez tellement raison, mon billet ne va pas à l'encontre de cela, au contraire. J'ai vécu en Amérique Centrale au début des années '80. Des morts sur les trottoirs (souvent des journalistes), il y en avait au Guatemala, au Honduras, au Salavador. Depuis, on ne les compte plus au Mexique.

      Sauf que, les USA sont mes voisins et à cause de mon travail je connais de nombreux Américains qui n'ont rien à voir avec les caricatures qui circulent en ce moment. Cette puissance se dit aussi moderne, démocratique et libre. On la considère en tête des pays dits « libres ». Ce qui se passe là est trop « gros » pour qu'on n'en parle pas.

      On retrouve peu de gens morts sur les trottoirs aux USA, la violence découlant des inégalités, du racisme et des intérêts financiers fait mourir des gens ailleurs que sur les trottoirs.

      J'allais assez régulièrement aux USA et j'imagine qu'après la COVID-19 j'y retournerai. Il n'en reste pas moins que c'est notre devoir de dénoncer ce qui se passe au Far West. Après tout, compte tenu des proportions en ce qui concerne la population, dans ce pays occidental, il y a un taux de violence qui ne se compare à aucun autre pays occidental.

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