En 1976,
une fois mes études complétées on m’embaucha à la radio de Radio-Canada. C’est à titre de technicien que je faisais la
mise en onde et enregistrais diverses émissions.
Je me
souviens de deux émissions à heure de grande écoute auxquelles j’étais assigné :
le Montréal Express et… Par Quatre Chemins. Et oui, je travaillais avec Jacques
Languirand, l’homme dont on parle beaucoup ces derniers temps, pour les
mauvaises raisons.
On
m’avait mis en garde : « Languirand n’est pas commode ». Il se voulait
surtout extravagant, il aimait se distinguer. Il arrivait en retard aux
émissions. Il venait me voir côté console. Anxieux, je le priais d’aller de son
côté, au micro, qu’il devait entrer en onde dans moins d’une minute.
Il
riait et me disait que nous avions l’éternité devant nous puis il traversait
côté studio en se dandinant, il allumait des chandelles, il éteignait les
lumières, disposait des bâtons d’encens, il s’étirait, oui, il s’étirait!
L’ennemi
de la radio est le silence. Comme il ne pouvait commencer l’émission je
diffusais en catastrophe un message avisant les auditeurs qu’un problème
momentané nous empêchait de débuter l’émission, puis je mettais un peu de
musique. La régie me contactait pour savoir ce qui se passait, les patrons
téléphonaient, ils gueulaient, puis Languirand s’installait et me faisait signe
de faire jouer le thème de l’émission... fade-out / Fade-in… musique… fade-out
/ fade-in…
- Bonsoir
auditeurs et auditrices. Pardonnez ce léger contretemps, c’est que mon
technicien (et le salaud me nommait) a commis une légère bévue mais tout est
maintenant rentré dans l’ordre.
Puis
il riait très fort, l’aiguille du VU tapait dans le fond, créant de la distorsion,
je baissais le son et alors il s’éloignait du micro, les auditeurs n’entendaient
plus rien, je remontais le volume et il recommençait à hurler dans son micro en
me regardant avec ses énormes sourcils en broussailles et son sourire diabolique
que tout le monde connait.
C’était
ça bosser avec Languirand. Après chaque émission je devais taper un rapport sur
les « anomalies » survenues. Ce n’était pas vraiment drôle et pas aussi facile qu’il
n’y parait de se retrouver sur les grandes consoles avec lesquelles je n’étais
pas toujours familier et en même temps devoir deviner quel tour me jouerait
Languirand.
Son
art consistait à rapporter ce qui se passait sur le plan social et expérimental à
travers le Monde. Il faisait jouer de la musique psychédélique ou du jazz inaccessible.
Nous étions à la fin des années ’70.
Dès qu’une
pièce musicale jouait, il venait me parler, il voulait connaitre mes
impressions sur les sujets abordés, moi le jeune homme qui ne connaissait rien
à la vie et qui ne se tourmentait que pour une chose : le déroulement de l’émission.
J’aimais
quand même le bonhomme, sa contre-culture, ses lectures. J’ai toujours aimé les
gens au caractère particulier. Bien des gens craignent les extravagants, pas
moi. Aujourd’hui, assez curieusement, plusieurs me craignent. Je ne suis pas extravagant mais il m'arrive d'échanger avec des gens réputés " suspects ". Ça te laisse un peu seul, même si tu souhaites pas ça.
À l'époque, lors de week-ends il organisait des séances d’introspection, des thérapies de groupe, n’importe
quoi, tout le monde tout nu à la campagne, assis en rond, "on" expérimentait plein de choses. "On" protestait contre tout, "on" réinventait le Monde et "on" se
gelait la face. Notez que le « on » exclus la personne qui écrit.
J’ignorais
alors que ce même Languirand consultait, qu’il déprimait, chutait et rechutait.
Aujourd’hui, alors qu’il a 85 ans et atteint d’Alzheimer, que sa fille
et son épouse sont décédées, on l’accuse d’avoir abusé sexuellement de sa fille. Parait
que sa parenté était au courant, qu’il ne s’en cachait pas.
Je n’éprouve
pas de sympathie particulière envers l’homme, mais comme il fait la manchette,
je voulais partager avec vous quelques moments vécus en sa compagnie, pour vous
dire comment il était « à micro fermé ». Il n’y a pas de morale à cette
histoire, sinon qu’il est peut-être sain de se méfier des gourous aux énormes sourcils.
Grand-Langue
Mais quelle expérience de vie tout de même d'avoir travaillé aux côtés de Languirand à cette époque, vous êtes une vraie boîte à surprise, vous, mon cher Grand-Langue!
RépondreEffacerIl n'y a pas de morale à cette histoire sauf peut-être une que je fais mienne : ne jamais croire qu'une personne, quelle qu'elle soit, puisse être irréprochable. C'est dangereux de suivre un gourou, une vedette, une idole...
Comme beaucoup d'auditeurs/trices, au fil des années, j'ai aimé parfois écouter l'homme divaguer à la radio. Certains sujets qu'il traitait à sa manière savaient m'intéresser, il nous rapportait des nouvelles du monde dans un angle qu'il était le seul à observer et ça, je dois dire, ça me plaisait. Mais je trouvais souvent qu'il creusait une spirale dans laquelle il se perdait et nous aussi. Alors, je partais faire autre chose en me disant qu'il était sûrement trop gelé... Pour moi, cet homme incarnait un mal de vivre qu'il ne réussissait pas à cacher, même avec son grand rire tonitruant. Et ça me mettait souvent mal à l'aise d'assister, par le truchement des ondes radio, à « ça ».
J'adore ton billet Grand-Langue...comme tu es mystérieux....tu as assisté à ces "thérapies de groupe" ou tu utilises le "on" pour désigner les autres.....
RépondreEffacerJe croyais que tu étais ou avais été directeur d'école...
J'aimais l'écouter un bout de temps, quand j'étais un peu hippie et même à la fin quand il avait une émission avec une jeune fille comme animatrice, je ne ne souviens plus sur quelle chaîne....
J'avais entendu parler de cette histoire par une amie d'une amie....(du ouï-dire pour tout dire). Alors je ne suis pas tombée en bas de ma chaise.
Il est chien d'avoir dit ton nom en ondes.....c'est quoi déjà ? :)
Rainette,
EffacerIl a prononcé mon nom en onde plusieurs fois mais c'était pour blaguer, moi-même je blague en le traitant de "salaud". Tout le monde le connaissait, incluant les auditeurs. Mes ami(e)s aimaient me taquiner quand cela survenait, mes parents aussi. De toute façon chez Radio-Can. on nommait le technicien de mise en onde. Je crois qu'on le fait encore. C'est toujours étonnant de constater combien de gens peuvent écouter la radio ou la télé!
J'ai assisté à de rares "expériences" dans les Basses Laurentides, il s'agissait de scéances de méditation. Je n'ai jamais réussi à "monter dans le train", j'étais distrait par les sauterelles, les moustique et les positions inconfortables ne favorisaient rien. Il y avait de belles filles, ça je m'en souviens (rire).
Je n'ai jamais été directeur d'école. Tellement de gens croient que j'étais prof! Je dois avoir la tête de l'emploi. Ou plutôt, j'aurais dû me diriger dans là-dedans. J'aimais les lettres, les langues, la géo, la philo, les arts, la musique... et c'est en technique que je suis allé malgré des résultats très ordinaires en sciences. J'ai tout de même bien gagné ma vie.
Grand-Langue
il n'y a pas de mal à être technicien, en plus d'avoir bien gagné ta vie, tu as rencontré des personnes intéressantes.
EffacerJe ne sais pas si tu as la tête de l'emploi mais tu écris "formibablement" bien.
Zoreilles,
RépondreEffacerJ'ai fait et vécu bien des choses, en parler me donne l'impression de radotter. Je revois parfois le film de ma vie, personne croirait certaines séquences!
J'ai pu faire des choses intéressantes à Radio-canada car le personnel régulier s'affairait aux Jeux Olympiques, le personnel prenait aussi des vacances dont il s'était privé depuis 2 ans, à cause des Jeux.
J'ai toujours travaillé, depuis l'âge de 10 ans alors que je passais des circulaires, sans cesser d'étudier. J'ai bossé plusieurs années pour un oncle qui avait une entreprise dans la construction, dans une usine de chapeaux chez les juifs de la rue Chabanel, en tant que gardien de nuit à la fin de mes études collégiales... etc. Puis j'ai travaillé dans les communications (en technique), dans le domaine de la puissance électrique, dans les secteurs manufacturier, militaire et d'ingénierie. Je travaille encore, accumulant des expériences parfois surprenantes.
J'ai aussi quitté des emplois que personne ne quitte, pour voyager sur de longues périodes.
J'ai déjà pensé à noter les faits saillants (rire), j'ai abandonné à chaque fois en me disant que ça ne servirait à rien. De nos jours on peut tout faire virtuellement mais les jeunes (ceux que je connais) font peu de choses de façon concrète. Je radotte peut-être encore.
Grand-Langue
laisse faire les jeunes, nous ça nous intéresse les faits saillants ;)
EffacerZoreilles,
RépondreEffacerPour revenir à Languirand, je pense un peu comme vous. L'homme m'a paru fascinant, surtout lorsqu'il résumait certaines lectures. En même temps il paraissait instable sur le plan personnel, il avait un côté obscur, une personnalité mal assurée.
Grand-Langue
Fascinant billet... Ton gourou aux sourcils broussailles m'a fait penser à des personnalités belges de l'audio que j'ai admiré des fois, jusqu'à ce que tombait leur masque : c'étaient des sales dégueux dans la vie de tous les jours...
RépondreEffacerCes gens connus de tous et de toutes ont tendance à devenir imbues de leur personne jusqu'à s'octroyer des droits allant au delà des lois. Le phénomnène est certainement universel. Il y a quelques années, Radio-Canada avait retiré son émission des ondes (après plus de 40 ans) et les gens avaient protesté. Une émission (allégée) avait été remise en onde.
EffacerOn dit que Languirand était en bon terme avec sa fille qui admirait son père, il aurait " réglé " cette affaire d'abus sexuel en famille (ayoye!).
Grand-Langue
Français te lisant de France où j'ai toujours vécu, je viens seulement de découvrir dans ton billet un peu le personnage de Languirand. Il m'était totalement inconnu mais tu as su m'évoquer une "légende", me faire ressentir la puissance du personnage.
RépondreEffacerSalut Cristophe,
EffacerSans être une super vedette, disons qu'il avait hérité d'une certaine crédibilité avec le temps. Grâce à une carrière radiophonique s'étalant sur 43 ans, chacun de nous l'avait entendu ou écouté à un moment ou un autre de sa vie.
Ainsi, quand il traitait d'une tendance sociale, on l'écoutait d'autant plus qu'il rapportait et analysait ce qui se faisait ailleurs dans le Monde sur le même sujet. Aujourd'hui je em dis qu'on ne mettait suffisamment ses propos en doute, ces gens ne font jamais face à de l'oppositin, ce qui nuit à leur personnalité et gonfle démesurément leur ego.
Grand-Langue
Par quaaaaaatre chemins a longtemps été mon émission préférée du dimanche soir et quand je suis parti en vacances à Natasquan, j'avais fait le plein de ces émissions en balado-diffusion sur mon ipad pour les écouter en route. Ce n'est probablement pas Languirand lui-même qui faisait les recherches, mais il avait une manière bien à lui de ses les approprier.
RépondreEffacerCe qu'on dit de lui maintenant, me fait penser à Jutra, Aubut, Strauss, Glenn, Polanski, Woody Allen et sans doute bien d'autres. Mulroney avait dit un jour "Le pouvoir est aphrodisiaque". C'est un peu comme si, après avoir atteint un certain statut, ils se laissent aller à leur bas instincts, se croyant au-dessus de tout.
Par... (silence) Quaaaaaatre chemins...
RépondreEffacerJ'aimais aussi l'couter mais je décrochais à cause de ses choix musicaux. La comparaison avec les gens mentionnés est bonne. Il avait des recherchistes mais elles ne venaient jamais en studio, il était toujours seul (lors de mon séjour du moins). Radio Canada avait un énorme budget à l'époque.
Ces colorés personnages jugent qu'ils peuvent s'en permettre plus que les autres, qu'ils peuvent analyser les choses mieux que les autres et agir dans le mal avec un " sens des responsabilités " dû à leur "statut".
Dans les faits, ils se foutent des dégâts causés. Les victimes sont innévitablement blessées à vie.
Grand-Langue
Il y a un nom tout trouvé pour ce genre de personnage séduisant fascinant et manipulateur.
RépondreEffacerCa s'appelle un pervers narcissique. Et je crois que celui-là en est un de première, sauf votre respect cher Grand Langue...mais bien sûr je peux me tromper...
¸¸.•*¨*• ☆
Je crois que ce qualificatif lui va à merveille. Subtil, il savait tout de même s'adresser à un peu tout le monde, le côté narcissique se serait sûrement développé et incrusté avec les années.
EffacerÀ ce jour, vous avez trouvé la meilleure description du bonhomme.
Grand-Langue
Je suis de l'avis de Célestine. Cet homme-là me semble relever des pervers narcissiques manipulateurs. Quand on les a démasqués, il vaut mieux s'en écarter. En tout cas, si on ne veut pas risque de se brûler les ailes. Mais, ces gens-là sont souvent intelligents et intéressants, c'est ça le piège ! Amicalement et merci de tes passages chez moi. Florentin
RépondreEffacerOuep, et c'était aussi un pédophile avoué. Grâce à lui j'ai appris que j'étais « zèbre » et vidée l'eau de mon corps par mes yeux.
RépondreEffacerMais cette année, j'ai lu les confidences d'une grande amie de sa fille et j'ai su. Il ne mérite plus mon attention, ni mon respect, ni rien de rien. Les pressions auxquelles j'ai ajouté ma voix pour que Radio-Canada, en pleine période de dénonciation de la culture du viol et tout ça, cesse de lui faire de la publicité semble avoir donné des résultats.
Air fou qui te fait la bise pour quand tu passeras, on est en 2018, le 7 juin, sur Terre (et plastique en masse). ¦-)
Bonjour Grand Langue, auriez-vous également de gros sourcils ? :D (rire)
RépondreEffacerEh oui, certains "stars" se permettent tout, surtout déstabiliser un jeune débutant ;)
Malgré tout, paix à son âme pour M. Jacques, bon dimanche à vous, M. Langue.
julie