2 décembre 2012

Actif jusqu'au bout

Cela s’est passé il y a deux ou trois ans, je rentrais chez moi. Nos lieux proches nous sont si familiers que l’on regarde sans voir les détails. Je venais de croiser un vieillard qui marchait en sens inverse. Tout en roulant, l’image de l’homme m’était restée en tête, sa démarche, son manteau… En entrant les emplettes, je me demandais encore ce que cet homme faisait là, il n’habitait pas le quartier. Sa silhouette me disait quelque chose. Sans que tout soit clair dans mon esprit je rejoignis le bonhomme. Il ne m’a fallu qu’un instant pour le reconnaitre. En criant son nom, un grand sourire apparut sur son visage, il monta dans la voiture et nous retournâmes à la maison.
J’ai connu Louis en 1979, avant de partir en voyage. Nous assistions ensemble à un cours d’espagnol. Il était responsable de l’entretien technique dans un hôpital et préparait sa retraite. L’homme est très cultivé. L’apprentissage des langues est un passetemps, il en parle huit ou neuf. Quelques années s’écoulaient parfois sans qu’on se visite.
Mais que faisait-il dans mon patelin? Il m’a expliqué que depuis quelque temps il avait localisé l'endroit où vivaient ses amis, ses connaissances. Il ne se séparait pas d’un calepin rempli de plans détaillés tirés de Google et annotés pour indiquer les menus détails comme le nombre de pas entre l’arrêt d’autobus et ma maison. Tout y était, les noms des rues, les repères, les circuits d’autobus, le temps qu’il fallait prévoir pour se rendre à destination, les divers horaires d’autobus et de trains. Plusieurs fois par semaine donc, il quittait sa femme pour une destination différente. Un jour, sur une route, en rase campagne, il aperçut un drapeau belge (son pays d’origine) sur la devanture d’une maison. Il descendit du bus, cogna à la porte et fit connaissance avec les occupants. Depuis, cette maison fait partie de ses destinations. Ses escapades se limitent à un rayon de 70 km autour de Montréal.
Je lui ai demandé s’il venait souvent chez moi et ce qu’il faisait en mon absence. Il m’a dit qu’il faisait le tour de la maison, du terrain, qu’il observait les environs, que les changements dans une vie se remarquent par de menus détails. Il revoyait le passé, jouait avec mon chien à travers la porte vitrée de la cour. Il s’installait ensuite dans la balançoire et mangeait parfois un sandwich avant de repartir. J’étais estomaqué! Ça fait tout drôle de savoir que quelqu’un vient voir chez vous si tout va bien… même en votre absence. Nous avons passé la soirée ensemble et avons discuté fort longtemps, malgré un problème de surdité qui le rend fou. Les échanges avec lui sont passionnants, il a vécu tant d’évènements, connu tant de gens. Ma conjointe l’adore, elle dit que c’est comme avoir un grand-père qui veille sur nous! L’homme est tellement poli, attentionné et il se souvient de chaque mot prononcé. Nous sommes allés le visiter chez lui. Il habite une grosse maison face à la Rivière des Prairies. Son épouse m’a dit qu’il préparait ses sorties la veille, il se demandait comment allaient les enfants, les parents, il se demandait s'il devait mettre en contact ceux qui avaient besoin des autres.
Je ne sais plus quel âge il a, 85 ans, surement plus. Il est dans une forme superbe et espère vivre longtemps encore. Il adore se balader en bus, il achète la « passe mensuelle » lui permettant d’aller le plus loin possible. Il a fait le tour du monde plus d’une fois, cela ne l’intéresse plus. Il a connu la guerre, les Allemands ont fait de la maison familiale leur quartier général, ensuite les Américains ont fait de même. Il est venu s’établir ici, a  milité pour l’indépendance du Québec, il a eu des enfants et le malheur a voulu que sa fille qui dansait pour la troupe de Maurice Béjart connaisse des problèmes de santé mentale après avoir eu une petite fille. C’est donc Louis qui s’est occupé de sa fille… et de la petite, tout en guérissant lui-même d’un cancer. Puis son épouse dut subir des interventions pour deux cancers. Il ne se plaint jamais de cela, son épouse non plus. Il se préoccupe des autres et me dit souvent que s’il était plus jeune, il trouverait une solution technique pour les malentendants.
Mercredi passé je ne suis pas allé travailler. Pendant la journée je suis allé au centre commercial local. Il y avait là beaucoup de vieux. Je crois que c’est toujours comme ça. Ils se rendent là, ils achètent des billets de loterie, ils prennent un café, ils sont mal foutus, mal rasés, mal peignés, pas fiers, ils se plaignent pour des broutilles, ils n’ont aucun projet. Je me suis dit que quelque part il y a un autre vieux qui est en route vers une destination quelconque, pour échanger et peut-être aider une personne qu’il connait, ou qu’il ne connait pas. Louis n’abandonne pas, il cherche à être utile, il apprécie les choses simples. En ce moment, il apprend le russe, on ne sait jamais, ça pourrait être utile. Combien y a-t-il de vieux comme ça? Vous connaissez certainement des gens comme Louis qui participent à la vie de tous, il faut apprécier ces personnes, leur dire.
Depuis que je sais que Louis vient parfois chez moi, le matin quand je quitte la maison, je me dis que ma demeure est entre bonnes mains.
 Grand-Langue

17 commentaires:

  1. Il est si attachant, votre Monsieur Louis... Il a de grandes qualités, dont une capacité d'écoute exceptionnelle (il est moins malentendant qu'il n'y paraît) et une volonté farouche de communiquer avec les autres qui l'honore, de là probablement son talent pour apprendre toutes ces langues. Cet homme s'appelle Résilience avec un R majuscule.

    Vous faites bien de lui rendre cet hommage discret et respectueux, de nous parler de lui. Sa sagesse, sa fidélité dans sea amours et ses amitiés, sa vision du monde et son empathie pour les autres sont des trésors d'humanité que vous partagez et c'est tant mieux pour nous tous.

    Je l'ai toujours dit, et je le pense encore, chez les gens ordinaires, il y a des personnalités extraordinaires qu'on gagnerait à connaître et de ça, on n'en parle jamais. Merci de l'avoir fait, vous ensoleillez ma journée.

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  2. Il est devenu pratiquement sourd et cela le rend extrêment malheureux. Il a toujours une panoplie d'instruments pour mieux entendre mais bien souvent, les conditions font qu'il ne peut s'en servir.

    Imaginez la chose: dans sa voiture, côté passager, son épouse ouvre le coffre à gants et en sort un entonnoir relié à un tube de plastique. À l'autre bout du tube, côté conducteur il y a un autre entonnoir (entre les 2 sièges). Son épouse lui parle dans un entonnoir et il appose l'autre entonnoir sur son oreille. Il me dit que cela fonctionne bien!

    Un jour, un policier l'a arrêté et a bien ri de son installation. Il lui a dit que ce n'est pas un téléphone intelligent, mais presque et lui a conseillé d'être prudent. Il ne conduit presque plus maintenant mais il craint toujours de perdre son permis.

    Grand-Langue

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  3. J'aimerais bien l'avoir pour ami votre monsieur Louis.

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  4. J'aime bien ces gens qui se préoccupent de leur entourage, amis et famille.
    C'est la meilleure façon de réussir une retraite vivifiante.

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  5. Ils sont rares maintenant, les Louis d'or, mais j'ose croire qu'il y en a que nous ne voyons pas, car les vieux on aime bien les enfermer, dans les maisons pour vieux, comme dans des stéréotypes, sans penser que ce sont tous des personnes, des gens uniques à leur façon.

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  6. SVP, retirez la vérification des mots pour prouver que nous ne sommes pas des robots - Blogger a un antispam automatique qui fonctionne très bien.

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  7. HPY,

    Si vous le dites, je vais essayer d'enlever mon anti spam (désagréable) mais j'hésite, la dernière fois ça m'a couté cher!

    Les vieux... oui, c'est vrai qu'on les enferme facilement et rapidement ou pire, on les ignore.


    Factorium,

    Pour ça, Louis a réussi sa retraite, il vit à plein.


    Pierre,

    Suffit de lui donner vos coordonnées, ça lui fera un endroit de plus à visiter!

    Grand-Langue

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  8. Bravo, quelle bonne idée de partager cette rencontre avec Louis. Étonnant, ces visites, cette présence discrète ! Votre récit contient beaucoup de tendresse et d'optimisme, denrées essentielles. Vous parlez de l'importance de nos sens dans les rapports avec les autres et rappelez aussi qu'on ne dit jamais assez aux gens qui nous donnent du bonheur la place qu'ils occupent dans nos vies, faut pas se retenir. Et aussi en prendre de la graine.
    A bientôt !

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  9. Quelle merveille que ce billet que je découvre justement à un moment où je m'inquiète de vieillir.
    Quel bonheur de savoir qu'il existe des Louis dans le monde qui demeurent ouverts et curieux, pleins de projets et d'envies.
    Saurais-je moi aussi maintenir cela à un âge aussi avancé? Je ne le sais mais cela me rend espoir

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  10. Ce Louis est certainement un personnage original et tout compte fait sympathique, mais quelque chose m’échappe dans cette histoire. Vous dites qu’il repère l’adresse d’anciens amis ou d’anciennes connaissances et qu’il prend plaisir à aller observer leur maison, les alentours, s’inquiétant si tout va bien. Mais les rencontre-t-il? Si vous ne l’aviez pas reconnu ou interpeler, il n’y aurait pas eu d’échanges?
    C’est bizarre, mais certains passages de ce récit m’ont plutôt attristée. Je voyais ce monsieur partir tous les jours de chez lui, seul, pour rôder autour des maisons : « … il faisait le tour de la maison, … Il revoyait le passé, jouait avec mon chien à travers la porte vitrée de la cour. Il s’installait ensuite dans la balançoire et mangeait parfois un sandwich avant de repartir. »
    J’ai peut-être mal compris. Mais bien que Louis soit actif, curieux d’apprendre, je ressens une certaine nostalgie.
    Au centre commercial, je vois aussi les vieux qui se rencontrent autour d’un café pour jaser et passer le temps. Il fut un temps où ça m’attristait. Puis, je me suis dit qu’en vieillissant les gens ont moins d’amis, sont souvent seuls ayant perdu leur conjoint, ils ont moins d’énergie, habitent dans des logements exigus, alors le centre commercial devient un lieu de rencontre où ils jasent, pendant que la vie tourbillonne autour d’eux. Est-ce qu’ainsi ils ont l’impression de faire partie de cette vie? Peut-être …

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  11. Caboche,

    L'homme ne rôde pas. Il cogne à la porte et parfois il téléphone avant de partir. La majorité de ses amis sont retraités ou... décédés. Je suis pas mal plus jeune que lui, il sait que je travaille à l'extérieur, si nous aurions été là, il aurait aimé ça. Je lui ai fait promettre de me téléphoner pour qu'on se rencontre la prochaine fois.

    Louis n'a rien de louche, on voit tout à travers lui. Il se peut que je ne reçoive aucune nouvelle de lui pendant deux ou trois ans, il s'est même écoulé bien des années sans qu'on ne se rencontre physiquement. Parfois je recevais une carte postale de quelque part. Il y a eu des rendez-vous manqués aussi, un en particulier, particulièrement curieux...

    Cependant, vous n'avez pas tort de parler de nostalgie. Quand je l'ai connu, on suivait des cours ensembles et parfois on prenait un café. Louis parle beaucoup du passé, sur un ton... nostalgique. Les images qui défilent dans sa tête semblent le réconforter. Il aime mettre les gens en contact.

    Ce que vous dites sur les vieux est pertinent et ce sera le sujet de mon prochain billet.


    Mia,

    Il y a des vieux qui ne sont pas commodes, qui n'ont jamais été intéressants ou gentils, pour d'autres c'est le contraire. À moins d'être atteint d'une maladie, vous devriez rester la même personne, celle qu'on aime...

    Grand-Langue

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  12. Je suis d'accord avec ce que vous répondez à Mia. On a de grandes chances de vieillir comme on a vécu. On se bonifie en général comme un bon vin. Je sais, ça fait cliché mais c'est vrai, je côtoie depuis toujours des vieux qui viennent enrichir cet argument. Voilà d'ailleurs l'un de mes grands espoirs...

    Et j'ai super hâte de lire votre prochain billet!

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  13. Zoreilles...

    Et moi j'ai hâte de l'écrire, si je peux avoir quelques minutes. Mon père, plus il vieillissait, plus il détestait les vieux, une catégorie de vieux. Je suis un peu comme lui, il y a certains vieux qui m'irritent, en fait, il y a une catégorie de personnes qui m'irrite et certains comportements désagréables sont propres à ces gens devenus vieux.

    Grand-Langue

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  14. C'est toujours aussi agréable de te lire...
    Joyeux Noël en ce 12-12-12! Et bonne chance.

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  15. je découvre votre blog, au détour d'un commentaire sur un autre... Et j'aime ce que j'y trouve. Merci pour ce texte où je ressens toute l'amitié qui vous lie à cet homme. Je lui souhaite encore de beaux jours et de belles rencontres.

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  16. Jackss,

    Heureux de vous retrouver mais... j'ai hâte que votre nouveau blogue soit terminé!


    C era une volta,

    Dommage que je ne puise accéder à votre blogue.

    Grand-Langfue

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  17. Merci pour votre visite et je vous souhaite de belles fêtes A bientôt

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